lʼart dʼescargoter
Habiter la ville éponge : Luxembourg ville
Luxembourg-ville, d’Stad pour les Luxembourgeois est une ville globale, même si la taille de la ville et de son agglomération reste modeste (100 000 habitants). Habitée par seulement 35% de Luxembourgeois, c’est une ville cosmopolite. Son attractivité est liée aujourd’hui à ses fonctions de capitales, bancaires et commerciales.
Qualifiée de « ville aux sept collines » ou encore de « Gibraltar du Nord », Luxembourg-ville a toujours été comparée aux autres villes. D’Stad est la capitale d’un petit pays circonscrit entre France, Belgique et Allemagne. Face à ces derniers le Luxembourg a été longtemps regardé comme le « Petit Poucet ». Pourtant, il affirme son indépendance et sa fierté par sa devise : « nous voulons rester ce que nous sommes » (Mir wölle bleiwe wat mir sin) sans regret pour les territoires perdus au profit de ses voisins (Arlon, Thionville…).
Fortifié en 963, le rocher du Bock est le site originel de la ville dominant les vallées de l’Alzette et de la Pétrusse, qui organisent ainsi un relief en creux. Autour de ce noyau, la fonction militaire a conduit à l’hypermilitarisation de la ville. L’emprise militaire originelle a débordé sur les collines périphériques, établissant une ville contrainte, ceinturée de forts détachés. Démilitarisée en 1867, la ville a su conserver des éléments de fortification de différentes époques symbolisant les enjeux géopolitiques médiévaux, modernes et contemporains. Ville d’histoire, d’Stat a vu ses vestiges militaires et ses vieux quartiers inscrits au patrimoine de l’UNESCO. Après une période d’effacement, puis d’oubli du fait militaire, ce dernier est aujourd’hui réactivé, redevenant un marqueur identitaire de la ville. Ainsi, les travaux de reconstruction du fort Thüngen, aujourd’hui intégré au Musée Dräi Eechelen (Musée National d’Histoire et d’Art), sur le plateau du Kirchberg, élabore un géosymbole identitaire, trait d’union entre passé et avenir.
Sa fonction militaire a produit un cœur historique de petite taille. Il concentre les lieux du pouvoir politique qu’accompagnent des fonctions touristiques et commerçantes. Intimiste, ce petit noyau compte moins de 3 000 habitants. Ce centre des institutions politiques du Luxembourg n’est finalement qu’une grosse bourgade. Pour se développer, la ville a du déployer ses « quartiers modernes » sur les collines qui entourent le Bock générant un zonage urbain, impactant les mobilités inter-quartiers.
Au cours des dernières décennies, la capitale luxembourgeoise a profondément modifié son image et sa place au sein de la Grande Région (Lorraine, Wallonie, Rhénanie-Palatinat, Sarre) et du Quattropole (Luxembourg, Metz, Trèves, Sarrebruck).
Depuis les années 1980, l’État luxembourgeois a transformé son tissu économique pour devenir une petite ville globale. Capitale européenne avec Bruxelles et Strasbourg, ville d’affaires et place bancaire, elle déploie son dynamisme économique et sa prospérité rejaillit sur les voisins. Ainsi la mobilité accrue des populations favorise l’éclatement des espaces de vie, notamment entre l’espace résidentiel premier voire second et les espaces de travail entrainant un dualisme territorial quotidien ou hebdomadaire.
Le plateau du Kirchberg abrite les institutions et la Cour de Justice européenne ainsi qu’un vaste quartier d’affaires. Cet espace ne vit qu’aux « heures de bureau ». Ces artères surdimensionnées, les immeubles de bureau soulignent le zonage fonctionnel de la ville.
Actuellement, conscient des limites de ce type de quartier et des enjeux de mobilité, le « Fonds d’urbanisation et d’aménagement du Plateau de Kirchberg » cherche à sédentariser sa population pendulaire par le développement de quartiers résidentiels. Dans la même logique, le projet de l’écoquartier Hollerich Village, en périphérie de Luxembourg ville, s’apparente à une démarche innovante concernant les ceintures périurbaines des agglomérations. Il tient compte des dynamiques d’étalement et permet d’amener une réflexion concernant la redensification et les reconversions des espaces urbains dégradés. Cette logique associée à une politique de décentralisation (quartiers d’affaires, université) opère aujourd’hui sur le pôle industriel en reconversion d’Esch-Belval permettant de faire respirer Luxembourg-ville.
Toutefois, la question majeure est celle des navetteurs transfrontaliers qui résident à la périphérie du Luxembourg et qui travaillent à Luxembourg-ville. Les flux de migrants pendulaires qui traversent la frontière pour venir travailler au Luxembourg, engorgent le réseau routier et autoroutier. Aujourd’hui c’est près de 75 000 Lorrains qui viennent travailler au Luxembourg. D’Stad polarise de plus en plus la Grande Région, produisant un espace urbain rhizomique. Petite ville très dynamique, Luxembourg illustre la dichotomie spatiale entre lieux de résidence (première ou seconde) et lieux de travail et fonctionne telle une éponge qui absorbe quotidiennement les navetteurs.
(L’auteur de l’article est Docteur en géographie LOTERR à l’université de Lorraine)