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Monique Douillet

Arles de ma lorgnette !

L’ethnologue amatrice que je suis éprouve un état de joie physique à la découverte des us et coutumes de ses contemporains. Il n’y a pas de grand ou petit voyage, le monde est toujours aussi vaste, les rites de mon voisin de jardin peuvent me surprendre et m’instruire autant que ceux des Bantous. (On est toujours le Bantou de quelqu’un).




Arles est un de ces lieux privilégiés où j’aime revenir pour humer l’air, prendre la mesure des évolutions, constater les permanences. J’arpente les vieux quartiers à pic qui mènent aux Arènes : rue du Refuge, rue du four qui passe, rue de la grotte.


Un homme marche avec des cannes-béquilles, il sort du passage des Ursulines et traverse une cour qui n’a pas changé depuis Van Gogh.


— J’ai fait mon tour, lance-t-il — Vous êtes bien courageux, lui répond une petite dame en robe tablier chamoirée, charentaises et grosses boucles d’oreilles en or. — Approchez-vous, dit l’homme, je vais vous dire franchement la vérité : je vous ai connue  « avant ». Vous étiez une dame charmante.

Pigeons volent dans la ruelle ombragée, un couple de marcheurs munis de bouteilles d’eau avance en jouant des coudes. Autour des arènes, une longue file chapeautée et casquettée de toile beige, s’entre photographie : des Japonais. Un chat gris, botté de blanc, traverse la rue Trissemoutte, démarche chaloupée. Il entre dans une belle maison de ville agrémentée de vigne grimpante. L’ancienne place du Saint-Esprit (Voltaire aujourd’hui), offre une diversité architecturale : bâtiments XVIIIe, XIXe et XXe siècle (ces derniers l’enlaidissent).


Au bar de l’Amphithéâtre, l’ardoise annonce : 2€ la bouteille d’eau fraîche, 1€20 la demi-bouteille (il n’y a pas de petit profit). Suit la kyrielle des commerces aux noms exotiques inévitables : Blue Note, Pizza-Burger, Le Pitchounet (un mélange anglo-italo-provençal).


La chaleur en cette fin d’après-midi de mai est caniculaire. Un Africain a dressé son stand de lunettes, colliers, bretelles et autres utilités, sur le trottoir. Il porte un pull à col roulé jaune, une chemise d’hiver de velours côtelé rouge par dessus, et encore par-dessus une veste de pêcheur. Il a un bob sur la tête. Sur la terrasse du Narval, un homme chauve comme un moine de camembert boit sa bière à petites gorgées. Les traits burinés, le menton en galoche, le visage hâlé, la tenue de ville impeccable, il a de la méticulosité dans les gestes. Le petit train touristique passe, coin coin, juste le temps de noter une capeline jaune canari à larges bords.


Dans la rue Portagnel, un figuier est installé sur le chapiteau baroque d’une maison bourgeoise, ses branches courent sur la façade et desservent en feuilles et en fruits les fenêtres du premier étage. Les maisons étroites s’alignent approximativement, ventres creux ou bombés, le long des rues qui biaisent pour détourner le cours du Mistral. Deux étages, trois maximum, le plus souvent une pièce sur l’autre. Et au sommet, le bonheur de jouir d’une terrasse avec vue sur le proche clocher de la ville aux cent clochers.




Arles, le millième de la France, cette bourgade est à la fois représentative de notre pays (au point de servir d’échantillon aux sociologues) et pourtant si spécifique, avec ses quatre têtes de taureaux et de moutons, par tête d’habitant humain. Des humains que l’on trouve massés dans ses arènes et ses bistrots de la place du Forum ou juchés sur ses toits en terrasses. Certains habitent dans des hameaux, ici dénommés « écarts » aux noms évocateurs : Raphèle comme Raphaël, Moulès comme moulin. Certains écarts et quartiers abritent des communautés ethniques : Mas Thibert, ses harkis, les corons de Salins de Giraud, ont été construits pour des immigrés grecs, La Roquette abrite des gitans sédentaires (ils se joignent une fois par an à leurs cousins nomades sur la route des Saintes Maries).


Quelques vieilles familles de propriétaires terriens camarguais habitent dans les grands mas qui rayonnent sur le pâtis (un certain marquis de Sade y était connu). Elles contribuent à entretenir les traditions folkloriques : celle de la reine du royaume d’Arles, de ses dauphines et des pégoulades, ces défilés en costumes traditionnels et à cheval qui ouvrent les fêtes votives.


Mais la vraie richesse d’Arles est dans la diversité de sa population, dans celle qui revendique le droit du sol, et le choix d’un mode de vie. Est arlésien celui qui est venu, ou revenu, par enchantement et par volonté et qui a décidé de s’implanter ici à cause d’un morceau de terre et d’eau avec lesquels il est entré en communion, ou pour un pan d’Histoire transmis par la pierre, ou parce qu’il a reconnu là ses semblables. Est arlésien celui qui a choisi et gagné son appartenance, au fil des années, le plus souvent en retapant sa ruine, son morceau d’hôtel particulier, son arpent dans la Crau ou son mas dans la Camargue « en moustiquée ». 


J’y ai connu un Arlésien anglais qui a choisi de se geler chaque hiver depuis 30 ans pour écrire dans un hôtel particulier inchauffable.

J’y ai connu un ingénieur du son qui aurait fait une carrière internationale s’il avait accepté de s’éloigner quelques mois par an de sa place du Forum. J’y ai connu un curé marié qui bénissait les taureaux dans son église, sa femme et leurs enfants servaient la messe.


J’y ai connu le prince de la BD, le maître de la photo, le chef des fouilles archéologiques, sorte de bateleur qui réunissait des centaines de passionnés dès qu’il annonçait l’exhumation de quelques fresques ou sépultures nouvelles. J’y ai connu un Lillois qui est devenu félibre, spécialiste de Mistral, un titi parisien qui a amarré sa péniche en 1978, un philosophe qui poétise, des pécheurs d’anguilles qui philosophent, des bergers qui sculptent, des toréros réservés et timides, des jardiniers qui dessinent et une écrivaine qui charpente et maçonne dans son jardin fleuri.



En Arles (Paul-Jean Toulet)

Dans Arles où sont les Alyscamps, Quand l’ombre est rouge, sous les roses, Et clair le temps, Prends garde à la douceur des choses. Lorsque tu sens battre sans cause Ton cœur trop lourd, Et que se taisent les colombes Parle tout bas, si c’est d’amour, Au bord des tombes.

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