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  • Gil Pressnitzer

Gianmaria Testa. Le cheminot qui chemine les mots

Texte publié avec l'aimable autorisation de Esprits nomades


À toi, le chef de gare de cette ville piémontaise, nichée entre transhumance et oubli, au cœur de « la provincia grande », je t’envoie quelques mots de France pour te dire que nous avons bien reçu tous les trains du rêve que tu as fait partir de ton sifflet sonore.



Toi, qui toujours officies dans ton bel uniforme à la cérémonie des départs, voilà que tu as voulu dépasser ces trains du jour du labeur et ces trains de nuit opaques dans leurs lumières entr’aperçues sur ce quai plein de brume où tu te tiens, aspiré par tous ces secrets qui passent et ne s’arrêtent souvent même pas. Et toi, Gianmaria de tous ces bruits qui feulent, de toutes ces vies en allées, de ces passants, de ces passantes, dont les mots et les espoirs sont restés à quai, tu as voulu laisser trace et mémoire. Et entre les horaires, les retards et les attentes, les éternelles paroles des habitués de la ligne, les petites paniques des nouveaux, tu rêvais à bien d’improbables départs et tu remplissais ton petit carnet de lambeaux de phrases, de débuts d’envols, enfin de toute cette argile douloureuse et exaltée qui fait la poésie.

« Le monde n’est pas le même qu’à midi ou à huit heures du soir. Il y a du silence, la lune, un ivrogne qui traîne… Si l’on n’est pas trop crevé, on peut voir plein de choses ». Depuis la maison d’en face, la lune qui vous reconnaît. Notre beau chef de gare de Cuneo, petite virgule entre Turin la froide dévoreuse et les mirages de la côte, écrivait des bulles de mots qui finissaient par s’envoler irisés au ciel, et Gianmaria son double chanteur se mettait à les fredonner. Et tout cela fit neuves et belles chansons entreposées au fond des tiroirs intimes du bonhomme. Puis vint à passer quelqu’un qui les entendit, les aima, et les fit connaître autour de la gare, autour du monde. Rappelle-toi tes doutes et tes hésitations avant de passer de l’autre côté du quai, sur cette scène qui bouge comme un de tes trains obsédants, et ce sont maintenant les autres qui te regardent passer, mais ce sont leurs rêves qui ont pris le large.




Et fièrement, ton premier album tu l’appelais Montgolfières comme pour être plus léger que cette brume, cette « nebbia » presque toujours présente dans ta gare et peut-être en toi. Et ainsi tu appris à creuser la brume. Maintenant que ton frêle esquif lesté des frêles passions des hommes s’envole haut et fort dans les courants ascendants de la chanson, tu nous reviens avec tes nouvelles confitures de la nuit, faites avec le fruit des trains qui fuient.


Que cette lettre t’arrive un jour pour te souhaiter bienvenue parmi nous qui avons hâte d’entrer dans tes chansons qui sont de grands départs. Avec tes petites musiques, petites ritournelles vagabondes, tu nous apprends le voyage immobile. Salut le cheminot, qui chemine les mots ! Gianmaria Testa, à la voix rocailleuse et voilée de nuits blanches, il chante le temps de l’envie de partir, de celui de rester, des voyages jamais réalisés. Il représente la profonde chanson italienne. Il est la fidélité profonde à ses amis morts ou vivants, Izzo ou Erri De Luca. Il est toujours chef de gare de Cuneo, plutôt chef de ligne. De ligne imaginaire. Car pour lui « On y trouve plus d’humanité que dans le monde aseptisé des aéroports, du moins ceux des pays développés. » Et sa voix lourde de fumée et de velours froissé reste au bord de l’intime pour nous plonger en nous-mêmes. Les « autres latitudes » sont nos dépassements.




Le jazz bluesé et le fond de la romance italienne sont ses chevaux de Troie pour franchir nos citadelles. Il n’a qu’une arme, elle est blanche de rosée : la beauté et la simplicité du chant. Sa douce voix grave est le murmure de la vie quand elle se fait tendre et mélancolique et ne pleure plus sur les amours perdus. L’univers de Testa est un monde de fêlures douces qui voit s’éloigner des trains dans la nuit, lampions des souvenirs aux fenêtres. Erri de Luca a dit cela de son ami «Ta voix grimpe à un balcon… Ce sont des syllabes de blues… Tes chansons servent à un garçon pour s’improviser homme… ».


Attention, attention, tous les trains du rêve doivent s’arrêter, quelques éternités d’arrêt. Prière d’attendre le signal de Gianmaria Testa.

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